Le cortège est organisé par les Tute bianche, groupe autonome d’inspiration zapatiste et la jeunesse de Refondation communiste, qui a pour ambition de pénétrer dans la vieille ville (zone rouge) où se déroule le sommet du G8.
Le principe de désobéissance non-violente qui a fait ses preuves à Seattle est de mise. "La seule arme que nous prendrons, c’est nos corps." J’opine du bonnet.
Jeudi 19 juillet (la nuit)
Le stade Carlini est comble, il doit y avoir 10 milles personnes. Sous les projecteurs du stade et de l’hélicoptère qui nous survolent sans discontinuer, des centaines de personnes s’attèlent à construire des boucliers et des armures. Certains se soûlent. Des petits groupes complotent, d’autre construisent de hauts murs de plexiglas sur roulettes pour ouvrir la marche. Je suis réellement impressionné par cette veillée d’armes, ... sans arme. Un des blobs qui nous a accueilli me dit avant que l’on s’endorme : "tu sais, j’ai l’impression qu’il y a des gens ici qui sont prêts à mourir." Même si je me rendais compte de la gravité du moment, je pensais qu’il exagérait tout de même un peu.
Vendredi 20 juillet
Le matin, vers 8 heures, en sortant de ma tente, je savoure le spectacle. Sous un soleil éclatant, des gars habillés en footballeurs américains paradent dans les allées du stade. épaulettes, genouillères et coudières en frigo lite, casque de moto, lunettes de piscine sur le front, et masque à gaz au cou. C’est de la 100% frime de s’exhiber de la sorte des heures avant la manifestation, mais quitte à aller se faire massacrer, autant en profiter un peu avant, c’est clair. Sous une tente, des "moniteurs" expliquent comment réagir, face à la violence policière, d’un autre côté, des apprentis Tute font face à des faux flics et simulent la baston. D’autres frappent à coups de bâtons sur les murs de plexiglas pour tester leur résistance. Et entourant cette faune où je me trouve, des milliers de personnes sont dans les gradins, hurlent et applaudissent la démo. Je me mets subitement à penser qu’on va y arriver, à enfoncer cette zone rouge. Entre-temps, tous les blobs de l’Intersiderale se sont retrouvé dans le stade, à part les grecs qui n’arriveront pas avant demain. Je suis avec l’un deux, et on se questionne sur l’atelier que nous allons choisir avant la manif. On a vite choisi, et décidons d’aller dans le quartier chercher des bouteilles de vin blanc, qui restent nos meilleurs armes un jour de désobéissance.
En sortant du stade, la société du spectacle bosse dur, des dizaines de journalistes de tous les pays du G8 sont là, camions-relais et tout l’caillons, interviewant tantôt des bonhommes Michelin, ou d’autres altermondialistes en herbe. Des files des gens attentent devant les épiceries et les cafés... Il règne une superbe ambiance bonne enfant dans le quartier. Des gens assis parterre lisent les journaux relatant la manifestation de la veille...
En revenant au campement vers 9 heures, un semblant d’agitation se fait sentir dans le stade et des dizaines de gens s’en vont. Des activistes apparentés à la technique "black bloc" descendent sur la ville faire le ménage.
Vers 13h, une fois l’Intersiderale réunie, nous sortons. A l’entrée du stade, on nous distribue de l’eau, des citrons, des masques à gaz, lunettes de piscine, etc.
Parte un premier contingent de 300 tute bianche, un mixed media de frigolites, bouteilles de plastics vides, carton qui se met en branle. Les gars sur les flancs ont des boucliers et forment une tortue, ouverte par un haut mur de plexiglas à roulettes.
Les "non-protégés" forment une haie pour les laisser passer. C’est très solennel, genre un dernier coup de vin, un dernier joint... Certains les applaudissent, sous le bourdonnement des hélicos. Une deuxième tortue avec la même technique est mise en place. Un deuxième contingent se met dedans et démarre à son tour. Nous on bouge toujours pas. Juste après, arrive un camion, d’où l’on supervise les mouvements. des hauts parleurs gueulent inlassablement les mots d’ordre traduit en anglais et en français : "Ne prenez pas d’arme, les seuls armes, c’est notre nombre, etc.". Il y a aussi sur le camion quelques personnes avec des tonneaux remplis d’eau avec pour mission de récupérer les armures, masques des blessés pour les laver et les redistribuer.
Suivent tous ceux qui sont munis de protection légère (2-3000 personnes). On rentre dans le cortège. Notre contingent est protéger par un S.O. de tute bianche munis de bouclier. Après, les manifestants non protégés, du Greek comity aux LCR, démarrent avec le même S.O.
Nous sommes en banlieue, et marchons un bon kilomètre sur une voie rapide, la Corso Europa pour descendre sur la ville par la Corso Aldo Castaldi. Sur notre droite, il y a un chemin de fer et un haut mur, ce qui n’est pas très rassurant, il n’y a pas de fuite possibles si les flics arrivent d’une rue latérale. L’atmosphère bien que tendue, restent festive, sous l’euphorie du nombre (nous sommes plus de 10000). Le but du jeu est de rejoindre les autres cortège en bas de la Corso Castaldi, se trouvant près de la gare de Brignole, et de converger sur la zone rouge.
Sur notre passage, il y a déjà deux voitures calcinées, probablement par les types du matin, ainsi que des marbres et béton des immeubles défoncés. Des blockers disséminés dans le cortège ramassent des morceaux.
Les hélicoptères bourdonnent au dessus de nos têtes, certains blobs têtent du vin blanc pour se calmer. Comme on descend, on a une vue panoramique sur la ville. A différents endroits relativement proches de la gare de Brignole, de gros nuages de fumée noir attestent de la violence des affrontements. Applaudissements et hurlements de toutes part, l’ambiance monte d’un cran, et le cortège s’arrête. A cinq cent mètres devant nous on voit les premières lacrimos tombées, elles sont directement jetées sur les rails du chemin de fer. Les gaz ont toute fois le temps de se disperser, mais d’où on est on ne le sent pas encore. Du camion, les hauts parleurs affirment que l’on que l’on peut reprendre la marche, mais conseille d’appliquer les protections, chose qu’on fait. Et on avance, mais beaucoup plus lentement, de 10 mètres tous les quelques minutes. Les ambulances comment à monter et descendre la rue en trombe. (y’a un hôpital près du stade Carlini)
Les ambulances affluent de plus en plus nombreuses, et la bonne humeur commencent à partir. Au bout d’une demi heure, le camion signale, que les premières lignes sont arrivées à Brignole, mais qu’il faut des volontaires pour refaire un contingent. Et on peut dire que les gens ne se ruent pas au camion pour poser leur candidature.
Je vais avec un blob devant le camion dans la tortue, qui n’est plus qu’une rangée de types avec les murs en plexi et 2/3 dizaines pour boucher une rue latérale et protéger le camion. y’a plusieurs charges consécutives et les gaz arrivent jusque nous à présent. Je me rends compte plus tard que c’est des hélicos qu’il les tire. Des robots flics à pieds suivi d’auto-pompe chargent devant nous, à deux cents mètre environs, et nous sommes obligé de reculer et de perdre les 500 mètres gagnés, La manif est coupé en deux, ce qui fait un front de plusieurs centaines de mètres où sont dispersés deux trois cent types occupés à casser les pavés. Mais avec les lacrimos, on n’aperçoit que des ombres et le bruit du caillou. Certains remontent vers le camion en suffocant, sanguinolent. Près du murs en plexi protégeant le camion, Plusieurs personnes ont des poubelles à roulettes remplis d’eau pour humecter les yeux et la bouche. Certains gars ne remontent que pour ça, puis redescendent. On essuyait sporadiquement les lacrymos des hélico. Les S.O tenaient leur bouclier parallèle en essayant de protéger un maximum de tête. Pour ma part, je restais avec les types du mur en plexiglas, à humecter de citron leurs yeux et leurs foulards. La situation, bien que dramatique et exceptionnel à la fois, se déroulaient avec un certain sang-froid, comme si tout les gens ici, avaient fait ça tout leur vie... Tenir un mur de plexi, vibrant sous les tirs des lacrimogènes s’écrasant dessus.
D’autres types sont perchés sur le mur du chemin de fer et regardent au loin ce qu’il se passe. Dans la rue latérale, il y a deux voitures calcinée et à 300 mètres, la place Alimonda d’où on distingue vaguement des combats sous des lacrimo avec des unités mobiles de carabinieri courir dans tous les sens. C’est là que Carlo Giuliani s’est pris une balle.
Il est près de 18 heures et très vite, on voit remonter une vingtaine de blockers, habillés intégralement de noir, avec des battes de base-ball, barre de fer, casque de moto (noirs), sac à dos remplis de pierres, ils remontent la rue en gueulant "assassini". La nouvelle du "martyr" fait le tour du cortège, et pas mal de gens en fureur descendent au carrefour jusqu’à nous, prêt à en découdre. Devant nous il y a une charge à l’auto-pompe, et une cinquantaine de personnes remontent pour également se joindre à nous. On recule de 50 mètres derrière la rue latérale. Sur la Corso Castaldi, les auto-pompes sont remplacé par la garde civil et des blindés légers. Le camion hurle que l’on soit prêt à battre en retraite, mais les gens devant le camion n’en ont rien à foutre et certains se préparent à incendier une nouvelle voiture, et à confectionner une barricade assez sommaire, y’a pas grand chose à mettre dedant.
On doit être trois cents dont une cinquantaine de blockers venant de la place, de l’autre cortège en fait, qui a du être complètement désintégré.
Les fumigènes sont maintenant lancées sans discontinuer et ça commence à être difficile de tenir. Le blob avec qui je suis resté n’a pas de lunettes et n’en peut plus. On va voir au camion après des lunettes pour lui et un masque à gaz pour moi (j’ai un foulard et un morceau de citron en bouche, et ce n’est plus vraiment suffisant non plus.) Les gars du camion nous disent qu’il n’ont plus d’eau pour nettoyer et que tout le matériel est ensanglanté. On redescend les 20 mètres, penauds, jusqu’au carrefour, le blob remonte sur le mur, un peu moins exposé aux gaz. Sortant de la fumée, dans la rue latérale, on voit une tortue de carabinieri avancés et les cinquante BB les acceuillir à coup des pavés, des billes, boulons avec une rage que j’ai pour ma part rarement vu. La tortue n’arrive plus à avancer, recul et se replie sur la place.
Mais du camion, ils nous hurlent de reculer, qu’une autre charge se prépare sur la Corso Castaldi. Personne ne bougent, s’attendant à voir une tortue, mais c’est les blindés qui démarrent en trompe. Je crois que j’ai jamais autant flippé et au lieu de courir, je reste pétrifié pendant quelques secondes, regardant les blindés arrivés, J’aperçois à cinquante mètre devant moi, une personne seul dans les gaz, attendant les blindés en agitant un drapeau rouge sur lequel est imprimé la tête de Mao. Puis je me mets à courir pour rattraper le camion et le reste du cortège qui avait déjà fait cent mètres. Les blindés explosent la barricade ridicule, et là je suis pris de panique. Le camion surenchéris le truc : "on rentre au campement carlini, vite !" pour se transformé en voix apeuré "plus vite que ça" !!! La, j’ai cru qu’on allait se faire massacrer, vraiment. Je sais pas trop ce qui s’est passé sur les premières lignes à ce moment précis, on avait rejoins les cocos, toutes les rues latérales étaient occupés par des carabinieri en position, trois hélicoptères nous survolaient et un mouvement de panique, une bousculade géante sur plusieurs dizaines de mètres arriva, calé entre le camion, le mur du chemin de fer, avec les blindés au cul et une tortue à 20 mètres sur notre droite.
On est rentré au stade vers 19h je crois. Toute les grilles ont été cadenassé, et toute sortie vivement déconseillée. Les gens hurlaient "assassini" aux hélicos qui bourdonnaient au-dessus de nous. De la haine mêlée à de l’amertume, on n’est arrivé à 2 kilomètres de la zone rouge, avec 1 mort (un gars de 23 ans, proche de Refondation communiste), 180 blessés dont plusieurs dans un état grave, et une jeune fille de 19 ans dans le coma.