intersiderale - διαστρική

dans une deuxième tentative de pamphlet galactik

Gênes : journal de bord d’une ville sous séquestre. [pages 3-7]

égalité versus illégalité dans l’action politique

samedi 1er septembre 2001, par intersiderale

A Gênes, du 20 au 22 juillet 2001 s’est déroulé, à l’abri d’une forteresse protégée par 20.000 policiers, carabiniers, gardes de finance, police anti-émeute, police politique, police pénitentiaire et militaires confondus, le sommet du G8. A Gênes, du 20 au 22 juillet 2001, plus de 200.000 personnes sont arrivées des quatre coins d’Europe et de la planète pour affirmer qu’un autre monde est possible. La confrontation a été frontale et sans médiation. Un jeune homme de 23 ans a été abattu d’une balle dans la tête. La jeep des carabiniers dans laquelle était réfugié son assassin a roulé à deux reprises sur son corps sans vie. 500 personnes ont été blessées, certaines grièvement. 281 personnes ont été arrêtées. Les télévisions du monde entier ont montré trois jours durant des images d’une violence aveugle. Pourtant, la répression des libertés civiles ne s’est pas limitée à ces trois journées, et le G8 n’a pas attendu le 20 juillet pour mettre une ville et un pays sous tension. En marge de la sauce unique médiatique, un journal de bord au coeur d’une ville sous séquestre.

Genova, 5 juillet. Trois semaines nous séparent du G8, mais déjà celui-ci se décline à tous les modes dans les pages des journaux. A Gênes, les forces de police commencent à envahir la ville. L’érosion des libertés civiles est en route. La chasse aux "anti-global" est ouverte. Cinquante contrôles par heure. Mille deux cents par jour. Vérifications d’identité, perquisitions dans les habitations. Gênes se transforme peu à peu en forteresse, tandis que le "popolo de Seattle" arrive par petits groupes et que les journalistes commencent à investir la ville. Il suffit de s’asseoir dix minutes sur une petite place pour comprendre : patrouille à pied, patrouille volante, patrouille à pied, patrouille volante. Tel est le nouveau "beat" sécuritaire qui martèle les journées génoises.

Genova, 7 juillet. La distribution des "pass" nécessaires aux habitants, commerçants et travailleurs pour circuler et travailler en zone rouge durant les journées chaudes est soumise à des critères pour le moins arbitraires. Toi ? Oui. Toi ? Non. Toi ? Peut-être. Pendant ce temps, les perquisitions et les interdictions de territoire continuent. Des journalistes du "Manifesto" 1 sont emmenés au commissariat. Filippo Ascierto, responsable de la sécurité pour Alleanza Nazionale, invite les parlementaires ex-carabiniers à se rendre dans les rues de Gênes aux côtés des forces de l’ordre durant le G8. La stratégie de la tension se déploie insidieusement.

Genova, 8 juillet. Carabiniers, gardes de finance, agents en civil reconnaissables aux sacs-bananes porte-Beretta accrochés en travers de la poitrine, policiers aux gilets style FBI, militaires en treillis.La capitale ligure ressemble de plus en plus à une ville en état de siège. Et deux tiers des forces de l’ordre prévues pour défendre la forteresse des puissants doivent encore arriver ! Les Tute Bianche (Les salopettes blanches, mouvement zapatiste prônant la désobéissance civile), armés de pistolets à eaux, distribuent des centaines de faux pass dans les ruelles du centre historique.

Genova, 10 juillet La stratégie de la tension s’intensifie. Deux batteries lance-missiles terre-air sont installées dans l’aéroport de Gênes pour prévenir les attaques aériennes, pendant que les Tute Bianche présentent à la presse le "kit anti-g8" : casque, lunettes de piscine ou de soudeur, masque anti-gaz, gilet de sauvetage, gants, protections en polystyrène, boucliers en plexiglas. Après les 200 cercueils, la morgue mobile et les sacs à cadavre du Vietnam amenés à Gênes (en prévision d’un éventuel attentat, selon la région ligure), voilà les douches décontaminantes qui font leur apparition, pendant que la Société Ligure de Psychologie se mobilise en proposant du 19 au 21 un service d’urgence 24h/24 en vue de traiter les symptômes de "stress post-traumatique" que peuvent causer des confrontations violentes.

Genova, 14 juillet. Contrairement aux promesses faites au GSF2, le gouvernement décide simultanément de suspendre les accords de Schengen et de fermer les gares de Gênes du 18 au 22. Aux frontières, les contrôles de documents sont rétablis. Sont refoulées d’office toutes les personnes reprises dans les banques de données d’Europol (fichées sur quels critères ?) de même que toutes celles jugées susceptibles de commettre des actions violentes (jugées sur quels critères ?). Qui contrôle les contrôleurs ? A 80 km de Gênes, un groupe de jeunes anti-global interpellés par les carabiniers sont amenés au commissariat et interrogés par la Digos (police politique). En cause une banderole trouvée dans le coffre de leur voiture reprenant une phrase de Shakespeare : "détruisons les rois".

Genova, 15 juillet. Une partie des détenus des prisons de Gênes sont transférés en Sicile et en Sardaigne pour laisser la place aux personnes qui seront arrêtées durant les manifestations. Le "popolo di Seattle" commence à affluer dans la ville. La cité "no-global" prend forme peu à peu. Les premiers chapiteaux se montent au stade sportif "Carlini" : c’est là que vivront jusqu’à la fin du G8 les Tute Bianche, les jeunes de Refondation communiste et des centres sociaux, les manifestants étrangers. Depuis qu’une grosse et étrange antenne a été installée près du Carlini, les cellulaires des Tute Bianche ne fonctionnent plus normalement et les appels s’interrompent au bout de 120 secondes. D’autres camps d’accueil sont prévus pour les associations reprises au sein du GSF et pour les tendances plus radicales de la contestation. Pendant ce temps, Berlusconi continue à jouer à l’architecte-décorateur, transformant une magnifique ville populaire en un grotesque décor de théâtre, avec des palmiers à outrance, des fontaines fascisantes, ou une fausse "belle" façade reproduite sur tissu et recouvrant les murs lézardés d’un palazzo que le Cavaliere3 n’a plus le temps de faire repeindre. Que dire de l’interdiction lancée aux habitants du centre historique de faire sécher leur linge aux fenêtres pendant le sommet ? Mais Berlusconi est du côté des contestataires. "On veut les mêmes choses", qu’il dit, et de s’étonner que l’on puisse, en ce cas, vouloir manifester. Est-ce pour nous en convaincre qu’il est rentré au Palais Ducal, où se dérouleront les rencontres du G8, sur la musique du dernier disque de Manu Chao, l’un des symboles de la protestation anti-globale ?

Genova, 16 juillet. Une lettre piégée explose dans les mains d’un jeune carabinier dans une caserne de Gênes. Le jeune homme est blessé aux yeux et à la main et opéré d’urgence. C’est le signal : chaque poubelle, chaque voiture devient suspecte, et les unités anti-explosifs n’hésiteront pas à faire exploser en tout une dizaine de véhicules mal garés ou en stationnement devant un endroit "stratégique". Une bombe est même désamorcée "de justesse" devant le "Carlini", siège des anti-g8. Ce n’est évidemment pas ce climat qui va retenir les Génois se préparant à l’exode. Pendant que les barrières se montent dans la zone rouge, tel un vaste jeu de mécano dont il ne restera que les dernières pièces à assembler au moment venu, les commerçants et les banques se barricadent, et le Mac Donald dissimule son enseigne à grands coups de papier kraft. A Chiasso, la police charge un groupes d’Italiens venus accueillir un groupe de cyclistes anti-G8

Genova, 17 juillet 23.30 : dans une demi-heure, la zone rouge sera fermée jusqu’au 22 juillet. Dans la nuit jaillissent des étincelles : les ouvriers sont en train de souder les barrières au sol. 251 barrières sont ainsi hissées au coeur de Gênes. Tandis que des rangées de containers commencent à s’empiler sur le "lungomare", empêchant l’accès au port, de même qu’aux alentours de la luxueuse via XX Settembre. Pendant ce temps, au Carlini, on se prépare activement à la journée du 20. Tout le monde parle à tout le monde, dans une ambiance assez bon enfant.

Genova, 18 juillet Une ville se réveille encerclée de barrières, de forces de l’ordre et de containers. "Ils nous ont mis dans des cages", s’énerve un vieux génois du centre historique. "De toute ma vie je n’ai jamais vu une chose pareille", enchaîne un autre. Les "vicoli"4 de Gênes, d’habitude pleins de vie et de joyeux tumulte, sont déserts. Une atmosphère mortifère s’est emparée du centre. Pour ceux qui n’ont pas le fameux "pass", un trajet de 100 mètres se transforme en gymkana. Là où il fallait hier cinq minutes pour arriver, il faut aujourd’hui 1h30. Aujourd’hui arrivent les premiers trains spéciaux. Vers 17h00, au Carlini, c’est carrément l’allégresse : toute l’Italie est en train d’envahir le camp, de Milan à Naples, et l’accueil se fait à grands coups de "benvenuti, benvenuti ! ! !". Le soir, le "Piazzale Kennedy" est bondé. Distribution gratuite de pommes et de bouteilles d’eau. Vin blanc à 20 fb le verre. Un Manu Chao démonté, trois heures de concert avec un répertoire plus proche de la Mano Negra que de son dernier CD. C’est la fête.

Genova, 19 juillet Siamo grandi5 ! titrera le Manifesto. Mais ce cortège des immigrés, 50.000 personnes environ et une ambiance bon enfant, sans violence aucune, n’intéressera que très modestement les médias. Parmi les manifestants, on dénombre plus d’européens que d’extra-communautaires : la police a réussi son travail d’intimidation. Car pour le sans-papier, manifester aujourd’hui à Gênes est un acte de courage, une réelle prise de risque : jamais ils n’ont été assurés de pouvoir participer à cette manifestation sans risquer d’être embarqués et expulsés du territoire. Une petite africaine de quatre ans porte une inscription sur le dos de son tee-shirt : "ce n’est pas ma dette, je ne la payerai pas". Une famille de Roms qui dorment au Carlini défilent avec une corde à linge où sont suspendues des culottes : le linge sale de Berlusconi. La manif se termine au Piazzale Kennedy où des punks siciliens transformés en pizzaiolos font de la pizza pour tout le monde à prix libre. Entre-temps, il a commencé à pleuvoir. Un vrai déluge qui aura tôt fait d’inonder les camps d’accueil. En attendant les sacs à cadavres du Vietnam, sacs-poubelle pour tout le monde ! Des milliers de jeunes vêtus de plastic noir sont prêts à passer une nuit humide, partagés entre l’excitation de l’assaut du lendemain et la parano&iulm;a qu’insuffle insidieusement l’hélicoptère de la police scotché à la portion de ciel qui surplombe le stadio Carlini.

Genova, 20 juillet Le grand matin est arrivé. Dans l’air une agitation palpable qui contamine tout un chacun. Le soleil est de retour. Devant le chapiteau où des centaines de personnes ont dormi côte à côte dans des sacs de couchage, quelques-uns ont improvisé une échoppe d’où s’échappent des effluves d’expresso. Un camping-gaz, une machinetta, des fonds de bouteille en plastique découpées en guise de tasses, et un pot commun où tu mets si tu as et si t’as pas tu mets pasÉ Ici, quotidien et politique ont spontanément et joyeusement fusionnéÉ Vers 13h00, le cortège des Tute Bianche se met en route. 17.30 : Carlo Giulani est assassiné d’une balle dans la tête par un milicien de 20 ans. Le cortège de la désobéissance civile se dispersant est chargé jusqu’à 500 mètres du Carlini.

Genova, 21 juillet 200.000 personnes sont descendues dans la rue. 500 blessés. 281 arrestations. La violence policière a poursuivi les manifestants jusque dans leur sac de couchage, au média center, où à 1h00 du matin 61 personnes ressortiront sur des brancards, après que la police ait dévasté le matériel informatique et séquestré les documents des avocats.

Genova, 22 juillet Une ville se réveille dévastée, meurtrie, affolée. Berlusconi conclut : "Le G8 s’est bien passé. Nous avons bien travaillé".

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