Saint-Précaire, image en carton-pâte d’un jeune gars « moyen  » affublé d’une auréole et d’un uniforme de fast-food ou de supermarché ou encore « Notre Dame de la Précarité  », une Madone en tablier jonglant avec du matos de nettoyage, un ordi portable, plusieurs contrats de travail et un téléphone à oreillette...
Et cet été, Saint-Précaire a même fait irruption dans le monde de l’art parisien, avec une expo intitulée « Homo Precarius  » [3], où pas moins d’une soixantaine d’artistes auront donné leur vision personnelle de l’icône, nouveau Saint-Patron post-industriel...
Tandis que venues des pays anglo-saxons, mais se développant peu à peu et un peu partout, d’étranges églises, rituels et prédicateurs vouent un culte aux icônes de nos sociétés de consommation : culte soit « positif  », avec par exemple « L’Eglise de la Très-Sainte Consommation  », soit négatif avec les actions-sermons du « Reverend Billy and the Chruch of Stop Shopping  ».
On nous l’avait dit, ce siècle nouveau serait religieux ; on vous l’avait dit, ce siècle nouveau serait celui de la mutation du travail et de la généralisation de la figure du travailleur précaire... Alors pourquoi pas une mythologie précaire ?
On nous l’avait dit, ce siècle nouveau serait religieux, on l’avait vu, ce siècle serait celui du marketing, de la croissance et de la consommation érigée en dogme... Alors pourquoi pas une mythologie des produits de consommation ?
De nouvelles Eglises, les supermarchés,
Une nouvelle religion, la Consommation !
"La consommation est une religion dégradée, la croyance dans la résurrection infinie des choses, dont le supermarché forme l’Eglise et la publicité les Evangiles"... Voilà la phrase bien sentie de l’intellectuel français Pascal Bruckner que « L’Eglise de la Très-Sainte Consommation  » a choisi de mettre en exergue sur son site www.consomme.org.
Le culte de la croissance est devenu un véritable dogme universel et l’idéologie de la consommation une véritable religion matérialiste. Les « grosses courses  » du samedi, les séances de lèche-vitrines entre ami-e-s du week-end, ou encore les périodes de soldes se sont érigées en véritables rituels populaires.
Du coup, certains « empêcheurs de consommer en rond  » ont décidé de pousser cette logique jusqu’à l’absurde en créant des églises parallèles où se pratique l’adoration des marchandises et de nos modes de consommation...
Apparus d’abord dans le sillage des collectifs anti-pub anglo-saxon, une myriade de groupes aux concepts similaires ont peu à peu émergé sur la place publique au cours de ces dernières années, finissant par former un réseau mondial informel. Aux frontières de l’art et de l’activisme politique, ces initiatives ont en commun de se réapproprier les références et l’imagerie religieuse pour nous questionner sur les dérives de nos sociétés basées sur l’image de marque et le couple infernal (sur) production - (sur) consommation.
Il y a d’abord l’inénarrable « Révérend Billy  » et sa « Stop Shopping Church  » [4] qui, depuis plusieurs années, apporte la bonne parole au consommateur lambda américain.
Pour lui, pas de doute, la société de consommation à l’américaine est d’essence démoniaque, et si nous ne remettons pas vite en cause ce mode de vie, nous allons droit vers l’Apocalypse ! Poursuivant inlassablement son chemin de croix de rue en galeries commerciales, toujours accompagné d’une horde de fidèles, et souvent même d’un véritable chœur gospel, portant les habits de pasteur et le gueulophone toujours collé aux lèvres, cet ancien acteur se met en scène à travers des sermons dans le plus pur style des prédicateurs américains. À coup d’arguments environnementalistes, tiers-mondistes et sociaux, ou de références bibliques comme « les marchands du Temple  », il fait irruption dans les magasins et tente de persuader les pauvres pêcheurs de ne plus rien y acheter !
Lié à la mouvance contestataire, au mouvement d’opposition à la guerre en Irak ou aux pionniers du commerce équitable, il cible en particulier de grandes enseignes américaines connues pour leur non-respect des droits sociaux ou environnementaux, leur exploitation éhontée des ressources terrestres et humaines au sud, ou encore leur implication dans la politique militaire et impérialiste US. Ainsi, il passe régulièrement ses journées au poste de police et apparaît fréquemment dans les médias américains au rayon des curiosités.
Avec le Révérend Billy nous sommes face à une utilisation au second degré des codes et du style religieux traditionaliste en vogue aux États-Unis, mais mis au service d’un discours politique alter somme toute assez lisible et classique. Mais d’autres activistes vont plus loin et brouillent encore un peu plus les pistes...
Ainsi, on a pu voir ces derniers temps, par exemple en Angleterre, des groupes tels que « Vacuum Cleaner  » ou « L’Eglise de l’Immaculée Consommation  » pratiquer d’étranges processions : commandos de nettoyeurs fous prenant d’assaut les magasins, rassemblements d’adorateurs des caméras de video-surveillance et autres sectes qui se sont placées sous la sainte protection de telle marque de vêtement à la mode...
C’est comme ça que le dimanche matin des pratiquants de « l’Eglise de l’Immaculée Consommation  » se donnent rendez-vous devant les vitrines des magasins branchés pour s’y recueillir et communier main dans la main à travers des prières à la gloire de tel ou tel trademark, devant le regard ahuri des passants [5] !
Ritualiser votre résistance.
Et puis il y a aussi le concept de « WhirlMart [6]  » qui rencontre de plus en plus de succès, notamment dans les pays nordiques, et qui nous invite à « ritualiser notre résistance  » à travers une pratique collective « alliant art, activisme et méditation  »...
Il s’agit en fait d’un événement qu’on pourrait rapprocher des très tendance « flashmob [7]  », à la grosse différence qu’il y a bien ici un « message  » ou en tout cas une intention et surtout que l’action est ici toujours la même :
Quelqu’un lance par mail ou flyer un rendez-vous devant un grand magasin, puis, une fois un nombre de participants suffisant présents, ceux-ci prennent chacun un caddy et commencent à les pousser « à la queue-leu-leu  » à travers les différents rayons, en ne mettant jamais aucune marchandise dedans, et cela pendant suffisamment longtemps pour que cette procession de caddies vides interpelle personnel du magasin et clients « normaux  » ! Et attention, tout cela dans un silence... religieux, sans aucun slogan crié, ni distribution de flyers explicatifs ou revendicatifs - en tout cas pendant la durée de l’action en elle-même ! Éventuellement, on peut par exemple porter des t-shirt avec des inscriptions à caractère politique, ou avec les simples inscriptions « Whirl-Mart : ritualiser votre résistance  ».
L’idée est de ne rien faire de « répréhensible  », et si un manager zélé arrive, on se disperse et on peut toujours dire qu’on est simplement un client hésitant, très soucieux de ses choix de consommation. Après, il y a des variantes, on peut ou non : avertir la presse, expliquer une fois l’action finie le sens de tout ça aux clients, ou encore avoir comme objectif de bloquer les caisses...
Quoi qu’il en soit, ces types de pratiques « artivistes  » liées à la consommation se multiplient, et se répandent maintenant dans tout le monde occidental.
Parfois même, ces rituels prennent place dans le contexte de grands rendez-vous contestataires ou de simples manifs. Et ils deviennent alors des tactiques de détournement, de baisse de la tension.
Ainsi, lors des dernières mobilisations anti-G8 en Ecosse, ou même lors d’une récente manif en défense des sans-papiers à Paris, au moment où ça devenait un peu chaud entre force de l’ordre et manifestants, on a pu assister à ce même genre de scène au parfum surréaliste : un groupe de manifestants se met soudain à genoux face à un supermarché, l’un d’eux endosse un costume de prêtre d’opérette et commence à psalmodier, aussitôt repris par ses ouailles :
Louées soient ton abondance et la profusion de tes produits !
Tes rayons éternellement remplis me submergent de joie et d’allégresse !
Je te vénère, Ô (Monoprix),
Unique objet de mes achats compulsifs,
Tu es le fournisseur de mes rêves,
Le réparateur de tous mes manques
Et mon asile à l’heure de ma mort.
Gloire au surendettement et aux découverts bancaires !
Vive les agios et les huissiers !
Halleluja !
Que la Sainte-Trinité « Croissance-Capital-Profit  » soit sanctifiée,
que leurs quatre volontés soient faites !
Prière aux supermarchés)
...
Les forces de l’ordre sont ahuries, et aussitôt immobilisées.
Dire que leurs supérieurs les avaient préparé à protéger ces mêmes vitrines de magasins des manifestants no-global décrits comme des casseurs !
Lors d’un prochain numéro, nous terminerons cette série d’articles sur ces « nouvelles sectes NoGlobal  », voir quel est leur terreau commun, leur force et leur avenir possible, et nous repasserons par l’Italie, pour prendre des nouvelles de Saint-Précaire et aborder une dernière figure mythique incontournable : Serpica Naro.