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Journal C4 131-132 MAI/JUN 05 : : NO GLOBAL

PRIEZ POUR NOUS PAUVRES PRÉCAIRES !

dimanche 10 décembre 2006, par R a F (Date de rédaction antérieure : 18 novembre 2005).

On vous en avait déjàparlé lors d’un précédent C4 sur « Le prix des choses  ». Au début, ça ressemblait plutôt àune blague. Pourtant, le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur. Partout en Europe ce Premier Mai, les différentes parades qui se dérouleront dans le cadre de l’Euromayday se feront sous la protection de l’icône de Saint-Précaire, l’image d’un jeune gars moyen affublé d’une auréole et d’un uniforme de fast-food ou de supermarché, ou encore de Notre Dame de la Précarité, une Madone en tablier jonglant avec du matos de nettoyage, un ordi portable, plusieurs contrats de travail et un téléphone àoreillette avec un client en ligne ! Bientôt, dans les métropoles italiennes et espagnoles, les dévots de San Precario, de la Madone Enceinte ou de Nuestra Senora della Precariedad seront plus nombreux que les fidèles le dimanche dans les églises de Ratzinger... Tandis qu’en provenance des pays anglo-saxons, d’étranges Eglises et Prédicateurs d’un type nouveau qui vouent un culte, positif ou négatif, aux icônes de nos sociétés de consommation font partout des émules. On nous avait prévenu : ce siècle serait religieux. On vous l’avait dit : ce siècle serait celui de la mutation du travail et de la généralisation de la figure du travailleur précaire. Alors pourquoi pas une mythologie précaire pour le XXIème siècle ?

À quoi ça rime toute cette imagerie religieuse au service d’un discours alternatif radical ? Une certaine frange du mouvement no-global s’est-elle laissée tenter par l’aventure sectaire ? Certains leaders « alter  » ont-ils décidé de se recycler dans un rôle de gourou plus avantageux ? Ou alors toute une génération qui ne savait plus àquel saint se vouer avait-elle tellement besoin de croire aux miracles ? Mais peut-être aussi que, plus simplement, il y a eu glissement du discours vers le xième degré qui sied si bien ànotre époque. A vous de voir, mais en tout cas, ça marche ! Hagiographie de Saint Précaire Comme tous les Saints, Saint-Précaire a sa légende... Personnage du XXI siècle, St-Précaire est le Saint-Patron des exploités, des pauvres, des travailleurs au noir ou sous-statutaires, des migrants sans-papier ni permis de travail, des travailleurs licenciés et intérimaires. On l’invoque contre le néo-libéralisme, le copyright et la privatisation des savoirs et pour l’instauration d’un revenu universel garanti... Fils de bonne famille, il est envoyé dans les meilleures universités et en sort avec un diplôme en « Finances créatives  ». Refusant les pistons de papa, il voyage et tente de se mettre àson compte. Il croit qu’avec un peu d’esprit d’entreprise, chacun a sa chance dans nos sociétés. Il croit en l’argent facile. Mais il connaît alors ses premiers déboires au contact du monde de la finance et de la magouille de l’Italie berlusconienne. Pourtant, il garde confiance dans les possibilités offertes par les sociétés démocratiques et libérales. Un jour, aux abords d’un village, il tombe sur une assemblée d’ouvriers àpeine licenciés ; ces derniers lui disent que leurs conditions de vie se dégradent toujours plus, et que, sans l’usine, le village va mourir abandonné par tous car dans la zone, il n’y a plus que des emplois précaires et des contrats temporaires qui ne peuvent garantir une vie digne. Mais il se dit que tout ça n’est que propagande communiste ! Il lance alors un défi aux habitants du village : dans deux ans, il reviendra un bon travail en main et des euros plein les poches. Et il part, anonyme, en quête d’un emploi. Il trouve d’abord un job dans un fast-food, puis dans des hypermarchés, des call-center... il y fait des horaires infâmes pour un salaire de misère, et jamais il n’obtient ce Contrat àDurée Indéterminée si convoité ! Il se dit alors qu’àdéfaut d’un travail stable et enrichissant, il peut quand même toujours s’offrir une vie digne et satisfaisante. Mais pas de fiches de salaire régulières, pas de possibilité d’acheter ou de louer une habitation convenable, et même pas le droit de faire un crédit àla consommation pour s’acheter une T.V. Les deux ans passés, Precario retourne au village mains et poches toujours vides, fait amende publique et épouse les préoccupations des habitants du village. Depuis lors, il n’a de cesse de parcourir le monde en prêchant pour les opprimés et les précaires ! Sa popularité ne cesse alors plus de grandir et on lui attribue plusieurs miracles, dont le plus fameux est celui d’avoir prolongé àl’infini le contrat d’un jeune homme d’un village sinistré du sud profond de l’Italie. San Precario est fêté le 29 février...  » Quand les « artivistes  » font des miracles Voilàpour la légende. En réalité, San Precario a fait sa première apparition publique le 29 février 2004. Il est apparu sur la mailing-list « Precog  » -mot-valise pour « travailleurs précaires et cognitaires  » -. Ce réseau regroupe des travailleurs de la connaissance, des médiactivistes, des précaires des services. Les precogs sont des personnages d’un roman de Philip K. Dick, « Minority Report  » (et du film de Spielberg du même nom) qui ont des visions de l’avenir. Ensuite, la figure de San Precario est diffusée par les « Chainworkers  », un syndicat de base comme il en existe plusieurs dans le champ politique italien. De là, la figure de Saint-Précaire se répand dans les réseaux alternatifs italiens. Très vite, des dizaines de groupes de dévots fleurissent du Nord au Sud de la péninsule, et deviennent des acteurs importants sur la scène des conflits sociaux et du mouvement alter. Leurs apparitions qui, àpartir de la problématique de la précarité, commencent àêtre médiatisées jusqu’àl’étranger où des collectifs se réapproprient l’image de Saint Précaire, l’adaptant ou non (ainsi la Notre Dame de la Précarité espagnole...). Très vite aussi, San Precario dérange tout le monde : la justice italienne inculpe des dizaines de ses adeptes, ce qui n’empêche pas les fidèles d’être toujours plus nombreux et déterminés. Face aux déformations des médias de masse qui font d’eux de dangereux éléments subversifs, un groupe de dévots va même jusqu’àretourner l’argument en proposant ses services (àsavoir l’irruption d’un groupe de fidèles avec tout leur attirail religieux qui effectuera un rituel de réquisition de biens ou de services au profit des précaires) sur le net aux commerces qui trouveront là« une occasion unique de bénéficier d’une couverture médiatique nationale mettant en avant leur marque et leur enseigne et mettant en avant l’extrême désidérabilité de leurs produits  »... No Comment ! Car San-Precario est loin de ne sortir, comme les autres saints-patrons, qu’un jour par an pour la grande procession du MayDay. En moins de deux ans ses apparitions et miracles se sont faits innombrables : piquets devant les grandes chaînes de magasins ouvertes les jours fériés, halloween de San Precario, grande manif pour le droit àun revenu garanti du 6 nov. àRome, participation àla « Journée mondiale sans-achat  », irruption au Festival de Venise, distributions publiques et gratuites de produits culturels pirates (dvd, livres et cd en primeur), mais surtout, jusque dans les plus petites villes, des dizaines de réquisitions ou de pratiques d’auto-réduction dans les supermarchés, les transports, les restaurants et même dans les cinémas ou les librairies, car San Precario aime « faire don de nourritures terrestres et spirituelles, de savoirs et des saveurs  ». Comment interpréter un tel succès ? Le caractère un peu surréaliste et dérisoire de l’affaire, appliqué au terrain de la politique et au conflit social, plaît sà»rement ànos générations post Mur de Berlin et 11 septembre. C’est aussi une façon de faire de la désobéissance civile, ou économique (?) dans la bonne humeur, ce qui permet au mouvement de respirer après Gênes et l’impasse d’une confrontation frontale avec l’Empire. Et puis il y a dans ces actions beaucoup d’esprit créatif, un peu de happening, et même un caractère de ritualisation, de communauté aussi, si pas de communion, ces dernières valeurs étant peu présentes dans nos vies ces derniers temps. Il faut savoir qu’on hérite en Italie d’une forte tradition politique et culturelle, catholique d’un côté et communiste de l’autre, et qu’avec pas mal de distance, on retrouve un peu ces deux principes dans la figure de San Precario. Là-bas, chaque village a son saint-patron, encore fêté avec beaucoup d’enthousiasme. C’est aussi un pays où la Résistance au fascisme reste un fondement et où près de la moitié de la population a adoré Staline, puis Togliati, Gramsci et Berlinguer. Saint Précaire peut donc être interprété comme un culte de la personnalité ironique et ambiguë bien dans l’air du temps tout en faisant appel àdes mécanismes archaïques. Un chef virtuel en quelque sorte. Mais cela vaut mieux qu’un nouveau « Petit Père des Précaires  » en chair et en os, non ? Les créateurs du Saint-Patron post-industriel se rappellent du moment de la création de l’icône en ces termes : « Action directe, médiactivisme et flexécurité (concept employé pour revendiquer une sécurité sociale adaptée aux réalités du travail précaire en voie de généralisation, et donc une continuité de revenu entre périodes de travail et périodes sans) étaient les trois facettes d’une réalité politique nouvelle qui tentait de sortir des sables mouvants d’un antagonisme toujours plus minoritaire et en même temps de se démarquer de la dérive d’une partie du mouvement vers un réformisme rouge, vieille école, sans effets sur la réalité. Et c’est comme ça que médiactivistes et collectifs de précaires unis avec le syndicalisme de base, nous nous sommes trouvés une icône représentant toute cette nouvelle réalité et donnant une voix forte et claire aux millions de précaires privés de droits et d’avenir : ainsi est né San Precario  ». Dans le prochain C4, suite de ce dossier, « PRIEZ POUR NOUS BENIS PRODUITS !  » avec : « Serpica Naro  », le coup de maître de dévots de Saint Précaire travaillant dans la mode et puis des drôles de coco qui se rassemblent le dimanche matin pour faire des prières devant les temples de la consommation ou les caméras de vidéosurveillance, qui organisent des rituels de protestation dans les hypermarchés, ou encore qui suivent les sermons du Révérend Billy de centre commercial en centre commercial...

P.-S.

Stalinopank : en prévision de la disparition future de ce txt des archives de C4, "j’en garde une copie" je m’suis dit. Et je la rends au web.

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