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« Moins de biens, plus de liens !  »

Contre le journal « La Décroissance  »

samedi 7 juin 2008, par stlnpk

Nous nous y étions biens faits, pourtant, àl’économie. Depuis des générations que l’on nous disciplinait, que l’on nous pacifiait, que l’on avait fait de nous des sujets, naturellement productifs, contents de consommer. Et voilàque se révèle tout ce que nous nous étions efforcés d’oublier : que l’économie est une politique. Et que cette politique, aujourd’hui, est une politique de sélection au sein d’une humanité devenue, dans sa masse, superflue.

De Colbert àDe Gaulle en passant par Napoléon III, l’Etat a toujours conçu l’économie comme politique, non moins que la bourgeoisie, qui en tire profit, et les prolétaires, qui l’affrontent. Il n’y a guère que cette étrange strate intermédiaire de la population, ce curieux agrégat sans force de ceux qui ne prennent pas parti, la petite bourgeoisie, qui a toujours fait semblant de croire àl’économie comme àune réalité - parce que sa neutralité en était ainsi préservée. Petits commerçants, petits patrons, petits fonctionnaires, cadres, professeurs, journalistes, intermédiaires de toutes sortes forment en France cette non-classe, cette gélatine sociale composée de la masse de ceux qui voudraient simplement passer leur petite vie privée àl’écart de l’Histoire et de ses tumultes. Ce marais est par prédisposition le champion de la fausse conscience, prêt àtout pour garder, dans son demi-sommeil, les yeux fermés sur la guerre qui fait rage alentour. Chaque éclaircissement du front est ainsi marqué en France par l’invention d’une nouvelle lubie. Durant les dix dernières années, ce fut ATTAC et son invraisembleble taxe Tobin - dont l’instauration aurait réclamé rien moins que la création d’un gouvernement mondial -, son apologie de l’ « Ã©conomie réelle  » contre les marchés financiers et sa touchante nostalgie de l’Etat. La comédie dura ce qu’elle dura, et finit en plate mascarade. Une lubie remplaçant l’autre, voici la décroissance. Si ATTAC avec ses cours d’éducation populaire a essayé de sauver l’économie comme science, la décroissance prétend, elle, la sauver comme morale. Une seule alternative àl’apocalypse en marche, décroître. Consommer et produire moins, Devenir joyeusement frugaux. Manger bio, aller àbicyclette, arrêter de fumer et surveiller sévèrement les produits qu’on achète. Se contenter du strict nécessaire. Simplicité volontaire. « Redécouvrir la vraie richesse dans l’épanouissement de relations sociales conviviales dans un monde sain.  » « Ne pas puiser dans notre capital naturel.  » Aller vers une « Ã©conomie saine  ». « Eviter la régulation par le chaos.  » « Ne pas générer de crise sociale remettant en cause la démocratie et l’humanisme  ». Bref : devenir économe. Revenir àl’économie de Papa, àl’âge d’or de la petite bourgeoisie : les années 1950. « Lorsque l’individu devient un bon économe, sa propriété remplit alors parfaitement son office, qui est de lui permettre de jouir de sa vie propre àl’abri de l’existence publique ou dans l’enclos privé de sa vie  ».

Un graphiste en pull artisanal boit un cocktail de fruits, entre amis, àla terrasse d’un café ethnique. On est diserts, cordiaux, on plaisante modérément, on ne fait ni trop de bruit ni trop de silence, on se regarde en souriant, un peu béats : on est tellement civilisés. Plus tard, les uns iront biner la terre d’un jardin de quartier tandis que les autres partiront faire de la poterie, du zen ou un film d’animation. On communie dans le juste sentiment de former une nouvelle humanité, la plus sage, la plus raffinée, la dernière. Et on a raison. Apple et la décroissance s’entendent curieusement sur la civilisation du futur. L’idée de retour àl’économie d’antan des uns est le brouillard opportun derrière lequel s’avance l’idée de grand bond en avant technologique des autres. Car dans l’Histoire, les retours n’existent pas. L’exhortation àrevenir au passé n’exprime jamais qu’une des formes de la conscience de son temps, et rarement la moins moderne. La décroissance n’est pas par hasard la bannière des publicitaires dissidents du magazine Casseurs de pub. Les inventeurs de la croissance zéro - le club de Rome en 1972 - étaient eux-mêmes un groupe d’industriels et de fonctionnaires qui s’appuyaient sur un rapport des cybernéticiens du MIT.

Cette convergence n’est pas fortuite. Elle s’inscrit dans la marche forcée pour trouver une relève àl’économie. Le capitalisme a désintégré àson profit tout ce qui subsistait de liens sociaux, il se lance maintenant dans leur reconstruction àneuf sur ses propres bases. La sociabilité métropolitaine actuelle en est l’incubatrice. De la même façon, il a ravagé les mondes naturels et se lance àprésent dans la folle idée de les reconstituer comme autant d’environnements contrôlés, dotés des capteurs adéquats. A cette nouvelle humanité correspond une nouvelle économie, qui voudrait n’être plus une sphère séparée de l’existence mais son tissu, qui voudrait être la matière des rapports humains ; une nouvelle définition du travail comme travail sur soi, et du Capital comme capital humain ; une nouvelle idée de la production comme production de biens relationnels, et de la consommation comme consommation de situations ; et surtout une nouvelle idée de la valeur qui embrasserait toutes les qualités des êtres. Cette « bioéconomie  » en gestation conçoit la planète comme un système fermé àgérer, et prétend poser les bases d’une science qui intègrerait tous les paramètres de la vie. Une telle science pourrait nous faire regretter un jour le bon temps des indices trompeurs où l’on prétendait mesurer le bonheur du peuple àla croissance du PIB, mais où au moins personne n’y croyait.

« Revaloriser les aspects non économiques de la vie  » est un mot d’ordre de la décroissance et en même temps que le programme de réforme du Capital. Eco-villages, caméras de vidéo-surveillance, spiritualité, biotechnologies et convivialité appartiennent au même « paradigme civilisationnel  » en formation, celui de l’économie totale engendrée depuis sa base. Sa matrice intellectuelle n’est autre que la cybernétique, la science des systèmes, c’est-à-dire de leur contrôle. Pour imposer définitivement l’économie, son éthique du travail et de l’avarice, il avait fallu au cours du XVIIe siècle interner et éliminer toute la faune des oisifs, des mendiants, des sorcières, des fous, des jouisseurs et autres pauvres sans aveu, toute une humanité qui démentait par sa seule existence l’ordre de l’intérêt et de la continence. La nouvelle économie ne s’imposera pas sans une semblable sélection des sujets et des zones aptes àla mutation. Le chaos tant annoncé sera l’occasion de ce tri, ou notre victoire sur ce détestable projet.

le lundi 23 juillet 2007 par Comité invisible

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