C’est que l’histoire du plein emploi, on a un peu du mal à l’avaler. On n’ a jamais connu. Ce que nous avons connu par contre, c’est la grande offensive conservatrice et son cortège de lieux communs mal dégrossis : une bureaucratie étatique qui grève lourdement la liberté d’entreprendre, une sécurité sociale qui coà »te trop cher, une concurrence qu’il faudrait laisser jouer librement, une liberté qu’il s’agit de plus en plus de cantonner au domaine de l’entreprise, et le risque, en cas de déviance, de se retrouver endetté à vie...
On a connu, on connaît aussi la dégradation accélérée – autant dire le saccage – de la planète, la disparition des modes de vie qui ne se plient pas aux diktats des nouveaux maîtres impudents. Et dans ce paysage réjouissant, une gauche sans plus d’autre imagination que celle de faire passer, un peu plus doucement peut-être, les « nécessaires réformes ». Nous n’avons certes pas connu la « grande guerre », mais nous avons grandi au milieu des conflits et des bombardements télévisés et de la guerre économique. Nous sommes nés au moment ou Pinochet et Valleda installaient, avec l’aide précieuse de nos grandes démocraties, les pires dictatures. Empoisonnés et affaiblis donc, de respirer cette ère. Profondément désespérés parfois. Mais pas au point d’avaler toutes les couleuvres.
35 ans plus tard, on nous ressert, en concentré cette fois, plus amère encore, le plat de la crise. On ne cesse de comparer celle-ci à la grande crise de 1929. Ca fait froid dans le dos... Et pourtant, il y a dans tout cela comme la possibilité d’une pointe d’espoir que le moment est venu, peut-être le dernier, de faire un pas de côté. C’est-à -dire de faire une pause, créer une suspension commune pour se donner le temps de regarder quelque chose, voir ce qui est important. Ce pas de côté, nous voulons le faire porter au niveau des politiques et dispositifs qui encadrent l’assurance-chômage.
Ceci implique comme point de départ la question suivante : comment hériter de ce système de protection ? Se poser en héritier – différence d’avec le rentier jouissant de "droits acquis" – signifie pour nous renouer avec la dimension de lutte, de résistance et d’inventivité à la base de l’assurance chômage. C’est qu’entre le moment où fà »t inventée l’assurance et aujourd’hui, le paysage a bien changé, de même que les êtres qui y évoluent. A l’époque se profilait à l’horizon – peut-être un mirage – le plein emploi. Le chômage est vu dans ces conditions comme un statut et point de passage momentané, une sorte de filet adéquat aux trous du marché du travail. Le travail reste l’horizon subjectif normal par rapport auquel se profilent les projets de vie. L’idée d’une société du plein emploi a disparu du paysage plus ou moins au moment même ou nous naissions. Que dire aujourd’hui, quand pleuvent les indices de récession et les chiffres de fermetures d’usine, de poste d’emplois ? Nos vies se sont donc articulées autrement par rapport au chômage et au travail.
Autant affirmer d’emblée ceci : construire, travailler, nous le faisons, tous les jours – ou presque – en échange d’un revenu – la maigre allocation que nous touchons en début de mois. Il nous arrive aussi de noircir des cases. On voudrait nous faire croire que par-là , nous vivons en partie dans l’illégalité. Une illégalité qui n’est que secret de polichinelle, mais secret de polichinelle bien fonctionnel. Cette clandestinité de pacotille qui nous est imposée, nous en avons assez. Le chômage a d’abord été fabriqué comme un dispositif de protection, un outil collectif : c’est de cette histoire-là que nous venons, et nous y tenons. . La fixation d’une journée de travail normal est le résultat d’une lutte de plusieurs siècles entre le capitaliste et l’ouvrier.
.